Nuit mexicaine rêvée...

L'espace se remplit de regards, de sons et d'odeurs; des épices de Haïti et des rires profonds, des pas de danse grossièrement esquissés, des chansons argentines et Boris Vian joue de la bandonéonette, des mains battent en rythme sur le bois de la chaise, mais il connait le tempo de la chacarera s'émerveille le poète del Estero en écoutant le frère musicien de Tunisie... Sans doute connait-il tous les airs.... Les ivresses sont intenses et sonores pour certains,

longue et joyeuse est la mienne,

aux doigts de mescal,

les couleurs du temps se mélangent, quel désordre, tout se mélange... (l'ordre invisible se fait lumineux sous le voile du réel)

Tentation facile des chiffres : à diverses heures de la nuit quelqu'un s'amuse à compter les nationalités, 11, 12, 13... Combien de nationalités au mètre carré? Mais comment tu nous comptes nous les Kurdes? Hum... Et moi vraiment je ne me sens pas Algérien.... Il y a 56 nationalités en Chine...

Famille composée comme une symphonie disharmonique le long des routes nationales de France au cours d'une marche (l'oracle dit : tout commence par une marche), dont le souvenir se distille en gouttes essentielles de bonheur... Même Alassane Soleil fait une apparition...Tu te souviens mon ami, tu te souviens camarade...? et toi tu n'étais pas là mais peu importe nous nous serrerons et te ferons une place dans notre mémoire (mémoire de nous)... Le monde entier se réunit en son centre, un empire du Milieu qu'est le Mexique, où cette nuit rêvée serait-elle si réelle sinon? Je suis obligée de le crier encore, mais c'est je crois la première fois que l'ailleurs se superpose à l'ici, qu'ils se confondent...

aca estamos.

Nous sommes à nous-mêmes nos propres continents que nous ne colonisons pas, mais visitons... - comme en ces époques qui peut-être n'existent que dans mes nostalgies où l'on découvrait sans détruire, où l'on laissait même respirer les mystères - de chacun des chansons s'élèvent, basses et pointues,insolentes et dramatiques, qui sont comme les murs d'une maison que l'on ouvre au voyageur... -Je n'ai pas de maison, pas de chansons (je suis née à un croisement aphone, et combien de fois ai-je dû dire non je n'ai pas de chansons, ce n'est pas que je n'aime pas ma voix, je n'ai pas de chansons...) mais je ne suis plus triste comme l'enfant triste, j'écris la petite musique idéale de ma vie, de nos vies, note après note sur la portée fuyante, elle est magnifiquement dissonante (comme ici, comme souvent...) - Soudain personne ne le voit c'est un prodige un trou lumineux se creuse à l'intérieur du nous, le poète argentin est là tout près de moi à porter au bout de ses cils qui se tendent vers le ciel la tristeza y alegria qui deviennent miennes, la zamba qu'il sait que j'aime tant mais seulement dans sa voix, curieux qu'il soit là quand j'attendais mon bon génie, une ironie... (Bientôt il sera loin à enchanter d'autres nuits, et son absence entre les éclats de rires et de tendresses

est déjà une brûlure)

- la noche de fiesta es tambien noche de duelo

j'ai écrit cela déjà...-

Les discussions n'en finissent pas et s'éloignent des structures mentales sur des vents alcooliques - à moins qu'il n'y ait une structure mescal? je crois que oui...- le voyageur chinois ne retrouve pas très bien le français derrière les Ch Ch Ch saouls du voyageur argentin, pero porque? Che n'entends pas che qui ne va pas avec mon accent...? Et puis Tu sais je pourrais mourir je suis heureux; C'est ce que j'essaye de penser chaque instant, le miracle a eu lieu, tu es saoul et demain sera peut-être de bois aux galères, mais ceci existe, tu es saoul tu bois trop et la musique te porte au-delà de toi, car toi est en partie resté dans le pueblo del Estero où l'on t'appelle traïdor, tu dormiras éthylique, je suis saoule et je t'aime ainsi, pris dans tes passions argentines nocturnes, avec ce brillo en los ojos... A l'heure des premiers métros les derniers s'endorment mais il est encore question de sauterelles haram de nationalité mexicaine, jamais de la vie on ne lui fera manger ça, plutôt une balle dans la tête, mets-y toutes les protéines que tu veux et viennent la fin du monde et les guerres mondiales, je préfère mourir de faim, jamais, si tu en as mangé c'est grave, mais dans tous les pays du monde on mange des insectes, tu ne sais pas que bientôt il n'y aura plus assez de nourriture, si tu en as mangé c'est grave, tu m'inquiètes, mangerais-tu pas aussi des hommes cannibales... je suis au bord de mourir d'un rire sismique qui me secoue de part en part, longtemps que je n'avais pas ri comme ça, cette joute pourrait durer jusqu'à la fin des temps, elle finit lorsque Victor Hugo de Haïti désespéré de sommeil se penche à son balcon, et, tendre comme Juliette, appelle : Viens donc mon ami, viens donc mon frère, viens dormir à côté de moi... D'accord, je monte... Tu veux un verre d'eau? Oui, oui, un verre d'eau, monte vite, laisse tomber les sauterelles, viens dormir...

Et les sauterelles se mettent à ronfler...

De jour le soleil d'hiver glisse sur les rues désertes, je sors respirer un peu de solitude au bord du canal, un café chez un vieux monsieur dont je ne reconnais pas l'accent, il écoute de la country, nous rions de cette musique de cow boys, me dit que c'est triste les gens s'amusent moins qu'avant parce qu'ils ont moins de moyens, c'est triste oui, combien coûte la joie dans les grands magasins...?

A quelques-uns du monde entier nous faisons tant de joie, de bric et de broc et de riens, est-ce que nous en privons les autres...

Et quelqu'un viendra s'en plaindre, ou nous l'interdire. Et nous arrêterons un moment. Jusqu'à ce que le même quelqu'un vienne nous supplier de continuer...

C'est la leçon donnée à la fin de la fête : une histoire du monde, avec sa hache qui s'abat,

et la joie qui repousse.

Ce soir que j'écris le bandoneoniste est parti, flottent dans les airs ses acccents de cristal,

il disparaît dans l'ailleurs de la nuit argentine,

j'ai envie de lui dédier mes mots voyageurs,

et toute l'alegria y tristeza que fait naître sa voix dans mon coeur

chaque fois qu'il chante pour moi

la llamadora.