et ne pouvant aller nulle part, ils allaient partout...

Publié le 4 Mai 2010

 

(écrire : de la vie en mots arrachée à la vie marcheuse, musique qui se déploie en variations, comme le poème symphonique des ronflements...)

   

 

Partant de Paris nord croisement des lignes rose et verte, la vague noire roule vers la République... des drapeaux des couleurs des merguez du hard rock du vrai muguet des bois une foule dense et tout ce que l'on ne peut pas se dire parce que l'on ne s'entend pas : le 1er mai. A quoi bon... Le temps passe à ne pas vendre de tee shirt ni de livres en carton... L'on s'enfonce bien nombreux dans le métro, les portes sont grandes ouvertes (des centaines, un millier, plus d'un millier, mais à marcher dans le nombre on perd le compte) d'en haut des escaliers le quai de la ligne 8 tout à coup envahi par la marée noire est vision presque hallucinée... Dans la rame quelques Blancs ont peur et descendent...

 

(Marcher avec eux : une entrée de plain pied dans la réalité

qui est flamboyante, qui est désertique, 

si réelle qu'elle en devient délirante)

 

- j'écris : Ville de Sens. Avec les filles siamoises reliées par le câble de la vidéo nous nous sommes échappées un moment. Et, aïe... cette séparation est déjà une douleur... mais la distance est bonne pour que le phrases tournées en esprit mûrissent. Un homme bavard d'être extrêmement seul nous prépare un déjeuner, son camarade attend en regardant les cds, en s'ennuyant, en lisant... il m'a conduit dans cette maison, il n'est pas au NPA depuis très longtemps, avant il était PC, mais ceux-là toujours à coller au train des socialos, il en a eu marre... Tu le sais qu'une grande crise nous attend? Tu le sais? La Grèce ça donne un aperçu, mais la France aussi... (etc.) Attablés devant de bonnes côtelettes de porc lentilles pommes de terre nous parlerons politique : les mairies du coin, la crise, ça ne pourra pas durer éternellement, et leur génération qui a connu le meilleur ne pourra pas supporter de tout perdre... et les gens votent toujours bêtement pour les mêmes partis...

 

Délicieuses pêches du jardin au sirop

 

Aver, aver ce qu'il est possible de supporter. D'aucuns peuvent supporter sans fin... -

 

J'écris dans le désordre, est-ce une composition picturale que de commencer par les orillas justement, les bords de la route...

 

Car nous marchons. Depuis le samedi 1er mai je marche avec une bande de sans papiers (j'use encore du terme, définition par la privation, mais ça ne durera pas...), une belle bande de vivants surtout Africains, surtout très Noirs et plutôt grands, mais aussi des Kurdes sous leur petit drapeau rouge, Algériens et Kabyles, deux magnifiques dames Djamilla et Samia (excusez le sexisme, il y a si peu de femmes que je retiens  leur nom...), un Chinois unique, quelques personnes-à-papiers...

  

 

(Je voudrais tout raconter des morceaux des vies d'ailleurs et d'ici, les ferrys les visas les centres de rétention les familles qui accueillent plein de Chinois à 30 euros par tête et rien dans le frigo l'adoration des ananas la grand-mère de 114 ans pas de dents mais l'histoire de l'Afrique toutes les ressources du monde Abidjan les villages du Mali et aussi :  les assemblées indiennes au Mexique l'histoire de la disparition des langues dans ce pays même où nous marchons, la France,  ah bon, il y avait d'autres langues...?

Eux aussi tendent l'oreille...)

 

 

Une urgence d'écrire me tourne la tête en marchant sur le bitume, le long de la forêt, sous le ciel qui pour nous retient ses larmes,  les premiers sourires, les timidités qui se défont tandis que les coeurs se lient,  les slogans, la poésie bruyante, les bois et les villes... L'ïle de France d'abord, Paris Vitry bords de Seine d'Evry à Melun par les Champs Elysées passant par autres Athis-mons-Ris-Orangis-Corbeil-Essonne St-germain-les-Corbeil : laideurs de villes-nouvelles ou charmants vieux bourgs, vides des périphéries quartiers résidentiels des cités aux centres "d'activités", du dimanche vaguement ensoleillé aux jours de semaine ouvrables... Mais où sont les habitants? Que font-ils pour n'être jamais dehors à aucune heure de la journée, à peine parfois aux balcons aux fenêtres, à applaudir acclamer ou la moue silencieusement haineuse... ? N'y a-t-il donc pour habiter les rues (un passage) qu'une bande d'hommes sauvages marchant au pas de guerre derrière une banderole Paris-Nice à pied dans une fantaisie politique très sérieuse, et le ciel est avec nous quand tout à coup 

 

nous sommes silence

en équilibre au-dessus du vide,

derniers habitants d'une Terre où il ne reste presque rien...

mais dans ce presque il y a-

...

 

Plus tard. Nous avons le temps, alors les histoires se déchiffreront, se diront, se déploieront si réelles qu'elles sembleront inventées...  les laisser pour l'instant germer sous les pas qui construisent l'autre histoire, maintenant, que nous frayons ensemble de petites routes en nationales dans les encombrements que nous créons... Souvent la police court derrière et devant, régule la circulation, quelle escorte, quelle ironie... La police protège les sans-papiers qui crient :

 

"Arrêtez la Police

Libérez les Sans-Papiers"

   

(Mais qui sont les prisonniers?)

 

De kilomètre en kilomètre les pieds dans les mauvaises chaussures neuves se blessent et saignent, se libèrent du plastique... Djamilla a mal et chaud et fatiguée des montées et descentes T'es pas fatiguée toi? et si nous sommes encore bien loin et retourne devant, devant la banderole... elle va toujours de toute sa fatigue devant la banderole,

en première ligne

 

- Dis Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?

 

Mais oui, tu le sais bien, nous sommes bien loin

la folie surchauffée beugle dans la locomotive

La peste le choléra se lèvent comme des braises ardentes sur notre route

Nous disparaissons dans la guerre en plein dans un tunnel-

 

 pas loin du jeune homme à casquette militaire qui marche en dansant, fait dix pas quand nous en faisons un, sans jamais penser à économiser ses forces... il a composé sa chanson en bonne compagnie, quelque chose comme :

 

'on est des blédards on en a marre on dort dans le placard

on va jusqu'à Nice malgré la police boire du pastis et demander justice'

 

(corrigez-moi si je me trompe soeur à bouclettes...!)

  

 

 Et moi, soeur-à-papier-carton; le souci délicat que l'on a de moi, regards furtifs sur ce que je mange ou pas,  bouts de viande découpés et posés dans mon assiette, scène de jalouseries jouées sur le chemin autour des filles, pour s'amuser... on dort sagement loin les uns des autres; au foyer après la joie de la danse kurde à 4 temps, chambre des femmes : Djamilla a une prière de retard, Samia deux d'avance; à toute pause les hommes peuvent poser le front par terre et psalmodier doucement, dans le grand gymnase ronflant de la nuit demandent simplement la direction, c'est qu'ils n'ont pas comme Djamilla un GPS sur leur tapis...

  sont-ils pénibles ces musulmans...

(...)

 

 

Les premiers amis de route, ceux avec qui j'avance en débattant doucemement, en écoutant longuement, me remercient d'être là, avec eux, d'user mes jambes pour leurs problèmes qui sont en vérité les miens, je dis non, c'est moi qui suis chanceuse d'être là avec vous, qui avez le courage haut... 

 

- Image : le visage de Sissoko pierre noire taillée en un NON irrévocable quand il s'agit d'obéir et de laisser la chaussée pour le trottoir sur les injonctions du Ministère de l'Intérieur...

Il avale les distances, je lui dis Sissoko quand tu marches on ne dirait même pas que tu marches,

il s'exclame :

            - Mais c'est que je suis un un paysan du Mali!

       et de rire... -

 

La dignité avance têtes hautes et bien campée sur tous ses pieds,

La terre a la couleur du Mexique qui a la couleur de la terre, et pourtant pour une fois je suis ici

 

en choeur :

"où je suis

je reste!"

 

 

et ensemble ne pouvant aller nulle part, nous allons partout...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Rédigé par Métie Navajo

Publié dans #les chemins d'ailleurs

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