fly somewhere else

Publié le 18 Septembre 2006

Fly somewhere else


Le Four des navettes, la plus vieille boulangerie de Marseille. En face d’un petit restaurant cambodgien. De longs biscuits secs parfumés à la fleur d’oranger, vaguement écœurants,  et pourtant j’ai la bouche sucrée.
La mer magnifique et bleue m’apporte le bonheur aux yeux. Je marche et le Mistral m’arrache la peau du visage (plus de peau sur les os) (squelette). Je quitte le sol, j’ai cru m’envoler, c’est la ville du grand vent.
 
Il fait froid c’est l’hiver et je cours dans Paris. L’air très froid brûle mes poumons cendriers que j’ai rempli la nuit dernière sans sommeil de la fumée de paquets de cigarettes. Je cours dans Paris, spectatrice transparente du jour qui s’installe, l’heure des poubelles. C’est une belle heure. Le soleil, s’il a daigné sortir, est haut déjà, éblouit les trottoirs mouillés. Je cours et les gens me regardent ou pas, moi je regarde le lent déplacement de la ville… Les éboueurs sourient de ma course, ils sont noirs le plus souvent, je dis ça parce qu’hier à Marseille, l’heure des poubelles du soir, les éboueurs se faisaient des passes de volley avec les sacs. Je n’ai eu envie qu’un instant de voir un sac exploser et dégueuler les ordures sur leurs gueules. En tout cas ces éboueurs étaient blancs… comme vous et moi…

Je cours et il s’agit je crois de me tuer et de me renaître d’un même mouvement, pourtant je suis immobile, pourtant je suis à chaque instant en vie.

A part les éboueurs, personne ne me voit.

Je me raidis. Il faut partir à nouveau, un mouvement, une fuite en avant que je transforme en marche… ou peut-être est-ce : ma chute en avant, je la transforme en marche…

Pour moi coureuse infatigable du monde et de moi-même dans l’univers, c’est un premier voyage en Asie. J’emmène mon corps que je déteste, en entier il faut le prendre, dommage qu’on ne puisse en arracher un morceau et je sais pas manger le reste, je déteste le goût de ma chair. Garder les pieds. Je pourrai par exemple garder les pieds. Les pieds servent à quitter Paris la banlieue et la périphérie morose des sentiments. Les pieds m’emmènent jusqu’à l’avion, à côté de moi pas de beau garçon mais une petite vietnamienne fort polie qui mange consciencieusement
toutes les deux heures
des nouilles instantanées aux crevettes.
(FAIRE L’AMOUR EN PRISONNIERE)

c’est mauvais signe ou non ?
J’écris à ce moment, dans l’avion et durant tout le voyage, encore maintenant, toit de Marseille, sur un véritable authentique carnet de voyage, authentiquement rapporté de l’Inde aux 1000 merveilles par un camarade martial. Un véritable authentique carnet de voyage comme je n’en ai jamais eu, avec couverture peau de chameau imprimé chameau, cordelette, papier épais incrusté de fleurs séchées. Voilà garantie d’écrire comme les véritables écrivains voyageurs d’antan qui parcouraient le monde de leur pesante mélancolie européenne TOUT A FAIT COMME MOI, qui avaient tous de ces petits chameaux à fleurs… La plume de mon bic attache mal sur ce papier trop épais et dérape sur les pétales, j’écris mal et trop gros, il est aussi trop joli pour ce que j’ai à y noter. Mais je le garde parce qu’il ne me va pas.
Je pars et partant je me défige et m’ôte aux mêmes regards des mêmes autres qui me tuent (qui me tuent, elle défunte nue en le miroir, encor que dans l’oubli fermé par le cadre, se fixe…)
statue immobile
et de pierre (car je deviens dure)
il faut exister en mouvement, neuve de regards, vierge dans les regards dans cette conquête permanente qui est effacement de soi… TRANSPARENCE et bien sûr DISPARITION
et
se laisser absorber avaler par le monde
Dans cet évanouissement je sens tout à coup que je-
(exister)

L’amant martial par exemple n’est-il pas raide, de corps comme d’esprit ? Par la haine et le ressentiment…J’aime bien ça en lui, le squelette, les os saillants, les muscles secs et durs, l’esprit solide et les idées coupantes… mais les yeux sont creux l’on voit dedans le crâne,
il a peu de douceur.

Disparition du jour et de la nuit dans un voyage sans sommeil à regarder une crevette avaler des nouilles. L’instant d’après je me heurte les oreilles à des cailloux vietnamiens c’est à dire essaye de trouver le repos dans le laps de temps qui sépare le hurlement vietnamien pour l’embarquement du hurlement chinois du hurlement anglais. Comme l’Asie est sonore… me dis-je et j’ai sans doute les tympans bien sensibles, je découvre qu’une langue tonale est une langue où chaque son a une vie en soi et danse son rythme… Les sons viennent et reviennent, avalés ravalés, recrachés parfois vomis, parfois drôles comme le KOK de Bangkok qui projeté des lèvres toutes fines mais puissantes d’une hôtesse d’aéroport s’élève très haut sur la corde des airs funambule et pitre, virevolte un temps puis meurt
tout net.
Evanouissement de KOK dans les airs. Embarquement immédiat. D’autres encore sont doux, d’autres sont hostiles. Je suis sur le toit de Marseille et une mouette ne cesse de ricaner de ce que j’écris, c’est la même sans doute qui ricanait l’autre soir quand je saluais le soleil de quelques mouvements à peine martiaux…
(Je suis en Asie et la danse des tons m’empêche de dormir. KOK KOK.)
Je suis en Asie ( kok kok) ça y est
(les mots et les sons tournent dans l’air la nuit quel vertige quel vertige)
(pas de mélancolie)
(pas de mélancolie)

Le Cambodge sourit à mes premiers pas sur son sol, il me reconnaît du sang indien, autant dire du sang khmer, autant dire une amie de la famille. L’air est chaud, assez humide, je suis fatiguée et j’aime le pays seule seule seule (c’est toujours le grand bonheur un peu inquiétant de la solitude, que ce bonheur soit si seul si grand). Le vrai mouvement commence, grisée de voyage, mes pieds me portent et j’oublie mon corps. Dans le bus un duo comique hurle ses bouffonneries à la télé, les gens rient, mon voisin a les jambes empêtrées dans les miennes, je l’aime bien, il est joli garçon, la route défile. Il ressemble à mon médecin de la rue Pernety, il porte comme lui une chemise blanche éclatante, la vieille dame au crâne rasée m’apprend à dire OUI. Savez-vous, en Khmer les femmes ne disent pas OUI comme les hommes… (le OUI de la femme est-il plus grand plus ouvert, ou au contraire tout petit ?)
(faire l’amour en prisonnière)
Enfin seule, espaces et temps. Aux arrêts les enfants chargés de fruits mais les animaux disent mieux la misère, peaux pendantes de gangrène et yeux vitreux, fermentent doucement sous le soleil, puent. La misère des bêtes. La misère pue, on la sent bien plus fort qu’on ne la voit et comment détourner les narines, et de toute façon aux images on est habitué, comment fuir l’odeur. Les chiens pauvres ont une haleine terrible…
Mon compagnon de route je me souviens de lui.
Parfois la misère saute à la gueule.
Parfois la misère flotte, les enfants pirates mendient sur l’eau dans la lumière dorée du soleil couchant, le village flotte… Chemin doré puis rose, la voie du ciel sur l’eau, scintillements d’or les enfants pirates mendient sur la voie rose du ciel, la lumière flotte.
Parfois la misère colle, c’est la sensation dégoûtante de la chair froide contre ma peau, je me retourne ce sont les deux moignons de bras de celui corps mutilé par une mine. Cette chair est dure. Cette chair est terriblement dure.
Grisée de km et de mouvements et de solitude non appartenance je pense un instant à l’amant martial… sa passion pour le Viêt-nam… L’absurdité de ce grand corps musculeux et blanc au milieu des petits êtres foncés par le soleil… Ils partagent pourtant certaine dureté. L’amant martial s’enfonce dans les eaux. La solitude flotte.

Et puis c’est la nuit.
Je bois une bière. J’ai la compagnie blonde d’un canadien mignon mais que je n’embrasse pas, je sais pas pourquoi, j’ai un vague désir de lui, sa blondeur. Nous nous embrassons très tendrement les joues.
Et puis c’est la nuit
(seule)
(faire l’amour en prisonnière)
terrible contre laquelle on se débat. Cris de coqs sans écho, animal qu’on torture, cris d’une machine, du fer, bain de sang, je sauve quelqu’un qui ne m’est pas reconnaissant.
Au matin peut-être devrais-je me marier avec le blond canadien car mon bonheur est ailleurs de moi.

Je devrais parler des temples du temps des temples du non temps des temples de leur silence parfois qui me ferme les yeux et je m’évanouis dans le temps oh… je ne dors pas mais pèse le temps dans sa consistance et sa légèreté si douce Moments brûlants sur la pierre où j’essaye de ne faire des temps qu’un seul moment de l’univers où je suis, là, moi, justement, maintenant… Rythme lent, presque non mu, qui bat en profondeur et loin en soi sons cambodgiens aigus et lancinants qui grincent agacent et apaisent en même temps l’esprit et le cœur.

Et au sortir de chaque temple il y a la misère qui crie
(LADY LADY
HELLO LADY
HELLO LADY
D YOU WANNA DRINK
D YOU WANNA EAT
D YOU WANNA BUY SOMETING
D YOU WANNA BUY
SOMETING
LADY)

Les cris des femmes Chœur de femmes presque bacchantes quand la nuit va tomber hystérique, HELLO HELLO angoisse LADY angoisse des derniers instants HELLO LADY du jours HELLO un passage à travers les cris.

Ce sont les cris des femmes qui me poursuivent la nuit. La douleur des Khmers est silencieuse pourtant.

Les km avalés à l’arrière de la moto bike, espaces, paysages traversés étendues vertes forêts étendues cultivées villages routes avalées défilent devant et derrière les pensées rapides se succèdent au contre-rythme de ce pays, de la toute lente campagne. Je traverse leur temps…
les gens marchent de leur pas digne
travaillent
attendent
attendent
tout est doucement
je crois qu’alors je fuis l’espace et me jette en avant, suis pur mouvement moment, changement continuel et permanence
même et autre être et toujours non être en même temps. Je n’ai même plus peur de disparaître.
(je n’ai même plus peur ?)
Et je pense à  :
le reflet de la lune dans la rivière est toujours en mouvement. Cependant, la lune existe et ne s’en va pas. Elle reste mais elle bouge.
(bien sûr je mens, c’est plus tard que je lis ça)
et
pas bouger, pas bouger, cela signifie en fait ne pas rester sur une pensée, laisser passer les pensées. Demeurer en parfaite stabilité signifie en fait ne pas demeurer. Ne pas bouger signifie en réalité bouger.
 (et de lire ça m’emplit d’un bonheur intense, je suis dans le métro, et si pleine de bonheur)

Chaque instant s’envole pétarade Asie lenteur et vite silence parfois épais ma peau chauffe au soleil je suis grisée de tout ce vent  et riche de l’univers.

Sur le toit de Marseille je me souviens avoir eu en Asie mal au poignet d’essayer de figer tout cela frénétique sur mon carnet aux fleurs séchées où la plume du bic glisse et dérape.

KOK KOK. Des Français viennent se coller à moi, ma mauvaise humeur augmente.
Je ne me souviens pas du retour. Je crois avoir avalé des nouilles. Je ne me souviens pas d’avoir en rentrant aimé ma vie.
Dans le métro il y avait
        (Ne pas bouger signifie en réalité bouger)

mais il y avait aussi
        (faire l’amour en prisonnière)

et la périphérie morose des sentiments.

alors je suis allée sur le toit de Marseille où les mouettes sont moqueuses où la mer avec sa beauté saute aux yeux et donne aux lèvres la peau un goût.

Et mes pieds…

C’est incroyable d’avoir des pieds et de marcher.

Comprenez moi, je veux dire :

C’EST INCROYABLE D’AVOIR DES PIEDS ET DE MARCHER.






What if you could be anything you wanted ?
I’d be a cowboy.
Really ?
The boy looked at him with disgust. Shit no, he said. What’s wrong with you ? I’d be a rico and lay around on my ass all day. What do you thing ?
What if you had to do something ?
I don’t know. Maybe a airplane pilot.
Yeah ?
Sure. I’d fly everywhere.
What would you do when you got there ?
Fly somewhere else.
                                    Cities of the Plain

Métie N.

Rédigé par Métie Navajo

Publié dans #barataria

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