paris saint-lazare-les mureaux-Miromesnil

Publié le 18 Septembre 2006

PARIS SAINT-LAZARE-LES MUREAUX-MIROMESNIL

 

 

Ce qui est dur et raide accompagne la mort.

Ce qui est tendre et faible accompagne la vie.

 

Une nuit les voitures commencent à brûler.

Je me protège de la télé ; c’est la veille de la rentrée des classes. Je suis jeune professeur en établissement difficile en zone difficile, en plein cœur de la Zone tout court.

 

Ma mère m’appelle et me dit de faire attention, aux Mureaux… Faire attention à quoi.

La nuit les voitures continuent de brûler.

 

Rentrée. Je n’ai aucune envie de faire mes 1h30 de trajet pour aller au lycée. Rien à voir avec la peur. La lassitude et l’écœurement d’aller là bas parfois, où l’on ne peut rien faire que constater les dégâts et tenter de prévoir la détérioration à venir.

 

Les Mureaux sont situés au cœur de la vallée de la Seine, carrefour de communication à l’entrée de la Normandie et du Vexin. A 37 km de Paris, bénéficiant d’un accès direct à l’A13 et à proximité de l’A14, la situation géographique des Mureaux est un de ses atouts majeurs. La gare SNCF des Mureaux permet un accès direct à la gare Saint Lazare en 37 minutes. La moitié du territoire communal est recouvert d’espaces verts et vous pourrez bénéficier du cadre privilégié des bords de Seine... Code Postal : 78130 Distance de Paris : 37 km

 

Gare des Mureaux, quelques degrés de moins, habituel brouillard matinal sur la cité.

Dans le bus qui me balade une partie du chemin de la gare au lycée un petit vieux cherche à repérer des carcasses de voitures brûlées. Je ris jaune (intérieur).

Tout d’un coup il en voit une et la montre à sa femme, fier. Ils sont bien contents.

Tu vois, ici aussi ça a brûlé…

Les Mureaux restent les Mureaux… Bien sûr ici aussi ça a brûlé…

Je marche jusqu’au lycée. Marche quotidienne qui me fait longer le parc. Silhouettes fantomatiques des arbres dans le brouillard. Climat propice au fantastique me dis-je (car j’étudie des nouvelles fantastiques avec mes élèves de seconde).

Je marche.

 

Les Mureaux. Les premiers habitants s’établirent au bord de la Seine, environ 3000 ans avant notre ère et inhumèrent leurs morts dans une sépulture collective mégalithique, principal vestige de cette première agglomération. Un village gaulois puis un port fluvial gallo-romain lui succédèrent. Au Moyen-Âge, le village des Mureaux est un fief du comté de Meulan et dépend de la générosité de la comtesse, Agnès de Montfort, qui le dote d’une église et d’une maladrerie. Les rois capétiens résident dans leur hôtel de Beauséjour et au château des Mâcherus, tous deux disparus. Source : http://www.mairie-lesmureaux.fr

Lycée, salle de profs.

Le conseiller principal d’éducation raconte des histoires terribles, je l’entends de loin. Voix pleine qui transperce les murs de la salle fumeur, où je ne suis pas. Car, comme à mon habitude, peu consciencieuse, je prépare mes cours à la dernière minute… Des meutes promenant sur des pics des têtes. Comme les Apaches, ou les Navajos… A Mantes-la-jolie. Emeutes de ? j’ai déjà oublié, j’ai tant de mal à me rattacher au passé qui m’appartient et m’échappe ; le sous-passé qui se lit et se découvre par efforts successifs que je peine à fournir, paresseuse comme je suis.

 

Les élèves. Réguliers avec leur absence de culture, leur difficultés de langue, leur non-appartenance à l’histoire. Ils écrivent malgré tout mieux que ceux d’Issy-les-Moulineaux, comme quoi " les jeunes " et " les villes de banlieue " se valent sur certains points.

Salles des profs.

Rapport ; Bombes lacrymogènes et fumées à mon étage. Moi je n’en ai rien vu bien sûr.

 

Le soir, suite à l’agression d’un conducteur, j’attends le train longtemps. Beaucoup de monde sur le quai. Des femmes africaines en boubou attendent dans les escaliers. Il fait froid.

 

Je n’ose toujours pas regarder le journal télévisé. Les dépêches me satisfont amplement.

(Emeutes, violences, voitures brûlées, écoles, RACAILLE, bus, gymnases, photographe, homme, voitures, écoles, feu, KARSHER, DEPOT, feux, racailles…)

 

Tout cela a commencé avec les deux jeunes morts dans un groupe électrogène EDF

Combien de jeunes, combien de morts, combien de bavures (me dis-je…)

Les mots de Sarko. Cette qualité de langage qui le caractérise, qui lui fait trouver de subtiles images et métaphores, des expressions choc dont les Français raffolent, il le sait et peut donc s’en féliciter : " Il a une nouvelle fois employé les mots "Karcher" ou "racaille" estimant même que, "compte tenu d'un certain nombre d'individus", le vocable "racaille" était "sans doute un peu faible" " (dépêche AFP 20/11)

 

Ma famille aux USA s’inquiète et m’écrit. Rappel des émeutes de 65 à LA, échec et répression. Configuration peut-être similaire. Résultat similaire attendu.

Je découvre que les journaux américains se pourlèchent des violences françaises, bien sûr que la société française (aussi) va mal…

 

La nuit, les voitures brûlent, et le passé, et l’avenir…

 

Mureaux. Les hélicos tournent autour du lycée, au-dessus de nos têtes, en pleine journée. Agacement des élèves, de moi-même, exaspération. Les élèves de toute façon ne veulent rien savoir, ils se coupent avec fierté de leur passé (de soumission, d’esclave qui les rattrape malgré tout, comme moi…)

Nous sommes surveillés bien sûr, pour le bien de la nation.

 

Le proviseur nous demande de faire appel aux vieilles notions de respect et tolérance, mots vidés de leur sens à force de servir de matraque à la République. Je ne tiens aucun discours. Je préfère me taire. Les élèves ont envie que tout explose, naturellement, que leurs vies et leurs villes explosent.

Phénomène bizarre pour la saison, quelques guêpes pénètrent dans ma salle de classe. Peut-être remués par le brassage d’air des hélicoptères… Rires qui détendent les visages raidis par la colère.

Dans le parc à immigrés qu’est mon établissement polyvalent surtout professionnel, j’ai la chance d’avoir les classes les plus blanches et les moins remuantes. Les élèves qui, la nuit, ne vont pas forcément brûler des voitures. Issus des familles ouvrières plus anciennement établies, ou des villes du coin, après avoir transité par d’autres établissements ils sont arrivés ici. J’essaye d’interroger en silence l’absence de mémoire de ces adolescents. Leur vie doit être de la même qualité de merde que celle des élèves venus d’ailleurs, moins quelques humiliations quotidiennes, quelques discriminations, mais avec des soumissions en plus finalement, cet esprit de soumission acquis qui fait qu’ils n’ont plus besoin d’avancer à la trique

 

Explication sur la présence des hélicos : guet-apens tendu la veille par les jeunes aux flics. Depuis les toits de leurs immeubles ils balancent des ustensiles, du gros électroménager.

Une révolte électroménagère… si seulement ils voulaient bien jeter leur télé. Quelle génération. No past no future…

Moi aussi comme beaucoup je me lamente platement sur le fait qu’ils ne lisent pas, ne maîtrisent pas la lange, ne semblent pas capables de " dépasser " la violence pour construire un discours qui légitimerait la violence. Car l’histoire se fait dans la violence, mais la violence à elle-seule n’est pas l’histoire, du moins je crois…

 

La nuit les voitures brûlent. Feux qui illuminent de cité en cité les banlieues.

Feu qui se propage à l’intérieur de Paris assiégée, Paris entourée de ses banlieues cités,

et vers l’extérieur, la Province.

La France prend feu.

 

Je n’ose pas regarder la télévision.

 

Les jours et les nuits de feux crépitent, impuissance de la police, tension, haines qui augmentent. Pour ma part c’est juste, d’avance, l’écœurement et la lassitude.

Les gens me parlent avec des yeux inquiets.

 

Sarkozy en profite pour tout centrer sur la question de l’étranger qui doit cristalliser les haines des autres. Les étrangers en situation régulière pourront être renvoyés du territoire. Il y a, sur cette terre, des gens qui sont étrangers partout. Pour eux le monde s’ouvre et se referme, gigantesque prison…

Ils l’ont bien mérité en un sens, ingrats et irrespectueux comme ils le sont envers tout ce que leur a offert la république française, cette belle république, la France…

Je vois les vieux murs de la Santé se dresser à toutes les frontières… J’en tremble, le froid de la pierre sur la peau. Je lis aussi :

La Méditerranée, une mer de barbelés ? L'Europe, une forteresse ?

Et tout correspond.

 

L’état d’urgence et le couvre-feu sont le resserrement officiel, palpable et organisé de notre monde. Le meilleur savez-vous, c’est que d’après le grand sondage CSA, les Français sont aujourd’hui (20/11/05) bien satisfaits de tout cela :

 

PARIS (Reuters) - Après trois semaines de violences urbaines, une majorité de Français approuvent la fermeté montrée par le gouvernement et demande un renforcement du contrôle de l'immigration, selon un sondage de l'institut CSA publié par Le Parisien Dimanche.

Sur 957 personnes de plus de 18 ans interrogées le 16 novembre, 68% se déclare favorables à la prolongation pour trois mois de l'application de la loi de 1955 sur l'état d'urgence - prolongation votée la semaine passée par le Parlement.

Elles sont 56% à se dire favorables à une définition plus restrictive de l'application des règles du regroupement familial pour les travailleurs étrangers, dans lequel des dirigeants de droite ont dit ces derniers jours voir une des causes de la crise des banlieues (29% contre).

De même, 55% des sondés se déclarent favorables à l'expulsion des étrangers, même en situation régulière, condamnés pour violences urbaines (40% contre).

Selon Le Parisien, qui cite les résultats du sondage CSA, 48% des électeurs socialistes interrogés soutiennent cette mesure défendue par le ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy et rejoignent ainsi 75% des sympathisants de l'UMP et 82% de ceux du Front national.

 

Et :

Le Parisien tire de ce sondage la conclusion que "la France vire à droite"…

 

 

La nuit, les voitures brûlent moins, et surtout en province. Le danger s’éloigne de la capitale. On réprime plus facilement loin de Paris.

 

Les Mureaux. Un collègue me ramène à la gare en prenant un autre chemin que d’habitude, il ne tient pas à traverser le quartier des " Musiciens " en ce moment, la cité craint… Je suis bien d’accord… avec ou sans animations nocturnes, avec ses tours et ses bars, et malgré le Programme d’Initiative Communautaire URBAN lancé en 96 qui prévoit toute une liste de restructurations, de développements d’activités… (peut-être qu’il faut pour survivre savoir se satisfaire de peu, je ne sais pas, mais faut-il SURVIVRE ?), les Mureaux ça reste la ZONE…

 

D’ailleurs nous vivons dans LA ZONE, le monde entier est ZONE où l’exil est impossible. Mon esprit aussi devient une gigantesque ZONE.

Et cela sans même avoir regardé un seul journal télévisé pendant toute la durée des " événements ", car, comme d’habitude, ces actes de révoltes seront classés au vaste dossier " événements ", ce qui permet d’oublier très vite le référent… ce qui permet d’oublier très vite.

 

 

Hier, 19/11/2005, lors du meeting de l’ump, le ministre de l'intérieur a donc pu dire que "la République [était] de retour" dans les quartiers difficiles, et a attribué l'embrasement de ces trois dernières semaines à l'action de "démantèlement des bandes" menée depuis peu par les forces de l'ordre.

"La première cause du chômage, de la désespérance, de la violence dans les banlieues, ce n'est pas la crise économique, ce ne sont pas les discriminations, ce n'est pas l'échec de l'école. La première cause du désespoir dans les quartiers, c'est le trafic de drogue, la loi des bandes, la dictature de la peur et la démission de la République", a-t-il affirmé.(dépêche AFP 20/11).

 

Bien sûr notre ministre connaît les causes profondes du mal qui atteint et cherche à détruire le pays par le feu. La police victorieuse des trafiquants de drogue.

Si jamais les " voyous " eux-mêmes ne vivaient pas assez dans le monde fantasmé de Scarface, il est bon en effet que leur ministre leur rappelle quelles images héroïques ils doivent plaquer sur leurs vies minables.

 

Hier, vers 20h20, je sortais du métro Miromesnil pour aller voir le garçon dont les coins du sourire me plaisent tant. En remontant les escaliers je remarquai plusieurs jeunes hommes vêtus avec une élégance de mauvais goût (si je puis dire…), des jeunes hommes qui se ressemblaient, et je me fis bien sûr la remarque passablement sotte que ces bourgeois du 8ème arrondissement avaient tous le même air ampoulé… Arrivée à l’extérieur, peut-être pour les suivre quelques instants, je pris la rue de La Boétie dans le sens opposé à ma destination. Un rassemblement un peu plus loin dans la rue, une grande tente bleue dressée sur laquelle apparaissent les mots " mouvement populaire ". J’avance. Quel mouvement populaire ici dans le 8ème, rue de la servitude volontaire… ? C’est L’UMP, je n’avais pas pris la juste mesure du nom de ce parti… je me retrouve à traverser ce rassemblement populaire… me frayer un passage dans la foule… l’écœurement me submerge… Pourquoi ? tout ça est assez drôle finalement. Hier aux Mureaux, la nuit les voitures brûlent, ce soir prise dans le flot du Mouvement Populaire… j’arrive à en sortir. Je me dis quelques instants que je devrais rester, les regarder les écouter, attendre le cher Sarkozy et sa victoire…

 

Je fais demi-tour. La nuit mon cœur et mon courage brûlent. Le cœur et le courage sont une seule et même chose pour les Chevaliers. Je suis mon chemin vers le garçon dont les coins du sourire me plaisent tant et qui m’embrassait si maladroitement au bord de la mer, il y a deux semaines peut-être, à Trouville, sous une pluie froide et très fine… Les gouttes se fondent en larmes. Je me laisse fondre en moi-même. Il habite là, ici, dans le 8ème, un bel immeuble haussmanien dont il est fier. Son sourire va me réchauffer. Lui qui ce soir pourrait participer au Mouvement Populaire… Je suis non loin du Mouvement Populaire, mais surtout la servitude volontaire au cœur, je cède au sourire et je laisse brûler cœur et courage ou plutôt pourrir, fermenter. Tout en ayant l’air de défendre de belles causes. Je suis esclave de la facilité, de la chaleur, j’ai honte, mais pourquoi, tout ceci est très drôle finalement. Je suis raide et dure, tendre et faible, lâche surtout… Lâche dans tout le corps et l’esprit…

 

En naissant les hommes sont tendres et faibles

La mort les rend durs et raides

En naissant, les herbes et les arbres

Sont tendres et délicats

La mort les rend secs et maigres.

Ce qui est dur et raide accompagne la mort.

Ce qui est tendre et faible accompagne la vie.

LAO-TSEU

                                                                                                                      Métie N.

Rédigé par Métie Navajo

Publié dans #barataria

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
S
<br /> <br /> lycée jacques vaucanson hein<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre