le soir du samedi (hommage au cinéma)

Publié le 19 Mars 2012

 

Ils éprouvaient encore une telle passion l’un de l’autre, une soif si insatiable de leur corps-âme, qu’il était assez étrange de les retrouver un samedi soir assis au dernier rang d’un cinéma, fût-ce un petit cinéma de quartier fréquenté de solitaires inconditionnels. Peut-être que, chassés de tous lieux par les gardiens de l'inaventure à cause d’un air de paradis porté indécemment à même le visage, ils n’avaient trouvé d'autre refuge que la salle obscure? Non, au contraire, à peine réunis, ils avaient brutalement abandonné leurs corps bien engagés dans un combat au sol sur l’affreux lino grisaille (c’est fou comme l’amour embellit les sols) dans l’entrée de l’appartement (derrière la porte qu'il venait de passer tout essoufflé d’escaliers) pour galoper à bicyclette (une longue descente à vive allure qui n'était pas une course de vitesse mais hors de question qu'elle allât moins vite que lui, elle connaissait le chemin, elle avait descendu cent fois l’Arago de jour comme de nuit, effleuré la Santé aux pâles lueurs des plus froids matins hivers, traversant son propre souffle blanc) en bas de la montagne Sainte-Geneviève, et pénétrer doucement dans le film fraîchement commencé. La salle n’était pas très pleine mais suffisamment occupée pour pouvoir attirer facilement l’attention des voisins… Tête brune à l'épaule blonde, doigts et jambes et cheveux emmêlés, tête rousse à l'épaule noire, puis l'inverse, images traditionnellement mouvantes. Sons. Ombres et lumières. Un homme tue trois policiers du roi pour sauver un déserteur, des cris en cavalcade, les paysages font les jolis paysages, que c'est beau… Tout est faux, a déjà lieu, n’a jamais eu lieu. Quand on n’aime pas la vie on va au cinéma…

Mais là, la Vie est justement assise au dernier rang, à côté d'un Désir aux fines moustaches rousses et aux yeux délicatement cernés de musique. - Déjà qu’il était difficile de les arracher à l’être-deux sacré du samedi pour les rendre au monde, alors les mettre au cinéma, quelle drôle de bonne idée (commentaire narquois des auteurs de l’histoire)... - Les accoudoirs sont très hauts très larges et très inamovibles (penser, si l'occasion se représente, à apporter une scie). Le film pourrait être raconté de manière vaguement cubiste, à la lumière bleue d’un regard disparaissant dans le rayonnement d’une lune pleine qui surgit à l’image, une main sur les genoux ouverts en accoudoirs, premier mouvement, les flambeaux des camarades dans la forêt, deuxième mouvement, l'acteur jeune premier s’appelle « Courstoujours », une tête blonde rousse aux lèvres entrouvertes qui au 6ème mouvement se serreront violemment, l’image vue de dos, ou en contre-plongée, la lune surgit au fond de l’esprit, lointaine encore, mais sa lumière guide, les yeux bleu métallique se perdent dans la chaleur du noir (des yeux si profonds qu'on y perd la mémoire, elle est obligée de lui dire, parce que c’est vrai), et comment le bout de la langue que l’on sait rose de chat se retrouve-t-il sur un sixcoups d’Amérique, autre nom de la flûte de Pan bolivienne...? Pause : grande étendue de lumière silencieuse : des chevaux galopent au fond de l’été, souffles retenus, mais comme il est dangereux d’aller ainsi à découvert quand on est brigands, menacés par la tête à cheveux courts pétrifiée d'une dame comme il faut assise juste un rang devant dans un rêve de pierre...  - Qu’entend-elle, que voit-elle du coin de l’œil, si elle faisait son kung fu elle apprendrait à élargir son champ visuel, grand mal lui en ferait... (remarque intempestive de la Vie)- , obscurité dans la salle obscure, retour dans la forêt et aux flammèches d'un feu défendu, la flûte circonstancielle souffle de plus en plus nerveusement ; les femmes arrivent, un joli plan de cinéma sur une belle poitrine décolletée secouée d’une respiration de plus en plus rapide, la dentelle caressant la naissance des seins rappelle les cils d’une paupière d'oiseau, la peau est doucement laiteuse et parsemée d’étoiles, la lune surgit, ronde et chaude, qui toujours les protège, une grosse cerise blonde, et tout à coup ils ne sont plus dans une salle de cinéma où restent d’eux l'effluve délicat d’un amour passionnant et les miettes d'une part de gateau au chocolat ramené de l'enfance, mais sur l’avenue du Général Leclerc qui mène au Maine et au début d’une histoire commencée en marchant dans les histoires, et à chaque coin de rue c’est à dire entre les coins aussi se retrouve avec émerveillement le goût de ciel des baisers du printemps… Quand on aime la vie on va au cinéma, cette vie et ce cinéma sont également pleins d’aventures, et c’est par là qu’ils sont interchangeables avec indifférence.

Rédigé par Métie Navajo

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