pourquoi je suis restée en Grèce (I) le train des adolescentes

Publié le 3 Mars 2014

 

A la Michamanouch' qui parlait moins bien l'inglish que le ruskov

  I/

J’ai vu les trains silencieux les trains noirs qui allaient aux Balkans et qui passaient en fantômes 

 

Il y a peut-être quatorze ans de cela; deux jeunes filles finissaient un tour d'europe par les rails dans un train qui, partant de Thessalonique(en grec Θεσσαλονίκη / [θesaloˈnici], en valaque Sãruna, en slave Солун / [solun], en judéo-espagnol  סלוניקה, en turc Selanik ;cela dit assez ce que peut être Salonique) devait en 48heures les ramener à Paris. En ce temps-là, il était encore possible, pour des sommes ne dépassant pas l'absurde, de faire de longs et lents voyages pleins de sacades et de secousses, dans de longs couloirs sales d'où l'on pouvait péniblement baisser la vitre supérieure pour sortir la tête, respirer le paysage, étendre des petites culottes, fumer. Dans ces trains on faisait de bonnes et de mauvaises rencontres; on mangeait, on dormait, on chantait on déclamait et on bavardait, on faisait très fort semblant d'être les romanichelles qu'on n'était pas du tout. Disons que le monde n'interdisait pas de jouer. 

Les deux jeunes filles, riches d'un mois de voyages ferrés et d'un ultime traveler chèque, devaient dans la première nuit traverser la Yougoslavie déjà disséquée dans les conditions atroces dont personne ne veut se souvenir, puisque personne ne veut même savoir aujourd'hui ce qui se passe dans ces countrées barbares où il paraît que même les trains ne passent plus. Les jeunes filles étaient tristes de rentrer mais elles chantonnaient au rythme des roues; ainsi jusqu'en Macédoine, jusqu'au Kosovo où au milieu de la nuit on les fit descendre pour des visas qu'elles n'avaient pas comme il faut ni même l'argent de la corruption (le traveler chèque avait été étudié mais finalement rejeté). On les laissa dans une salle d'attente vers trois ou quatre heures du matin où, se souvient l'une des deux filles, il y avait une vieille femme couverte de bandages comme une momie de guerre à laquelle l'autre jeune fille parvenait à lancer quelques mots russes. Elles ne connaissaient rien à l'Europe; elles avaient laissé leurs  pauvres cours d'histoire dans les manuels scolaires; c'est seulement peut-être à ce moment qu'elles comprirent, sans se le dire, qu'il y avait vraiment eu une guerre en dehors des télévisions (qu'elles détestaient avec toutes les images qu'elles contenaient)

 

Les ambassades n'étant pas ouvertes de nuit, elles repartirent vers Salonique où elles furent successivement allongées par terre pour dormir, chassées à coups de bottes par un flic, secourues par l'agent des bagages qui leur offrit un café turc; draguées sur un banc par un Albanais peu recommandable, absorbées par la mer. La Grèce les retenait. On leur conseilla de prendre le train jusqu'à Athènes, ce qu'elles firent après une journée de diète et le troc du traveler chèque qui leur permit de subvenir à de très menus besoins pendant quelques jours jusqu'à ce que les papas appelés à la rescousse fassent transférer des fonds coquets par des mandats postaux tant et si bien que les fillettes jusque là sans peur se retrouvèrent terrifiées dans une cage d'escalier d'un immeuble à cacher dans leurs sous vêtements des liasses de drachmes qui formaient partout des bourrelets - dieux que ces temps semblent antiques -.  

 

Dernière image; environ sept jours plus tard. Juste avant de prendre la voie aérienne du retour deux corps de jeunes filles repus d'exploits faciles et un corps de garçon marocain à l'accent allemand, aventurier plus infortable autour de qui la machoire européenne se reserre déjà, se baignent dans la mer raffinée sous le vol des avions. Triangle de caresses et de baisers. L'étreinte de la Grèce se relâche, les deux filles s'échappent, le garçon reste. Où... 

 

 

 

 

Rédigé par Métie Navajo

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M
<br /> merci l'Indien, heureuse que ça t'ait plu...<br /> <br /> <br />  <br />
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L
<br /> Merci, merci pour ce texte si beau. Je lis pas si souvent ton blog, c'est une belle surprise, j'aime beaucoup cet article<br />
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