tristesse des chiffres. Actualité de la guerre. Allées et venues dans l'invisible.

Publié le 31 Octobre 2014

 

  MEXIQUE; chiapas. Des Indiens sortent d'une forêt (selva) qui protégeaient leur (re)venue au monde. Ils portent un foulard sur le visage (le paliacate) ou une cagoule, ils sortent de leur propre disparition, personne ne les voit. On se souvient d'eux, on les a oubliés, ils ont 20 ans, 30 ans, 400 ans.

 

En octobre 2013 des hommes et des femmes commémorent le massacre de Tlatelolco, 2 octobre 1968, plusieurs centaines de morts. A l'époque ça n'intéresse pas grand monde à l'internationale, chacun étant à diverses échelles occupé par son petit 68. Sauf les ministres européens et représentants du FMI qui accordent un prêt au Mexique le lendemain du massacre. Dix jours après se tiennent comme prévus les jeux olympiques que la contestation menaçait de troubler. On entend dire parfois que ce massacre n'a pas eu lieu.

(commémoration d'octobre 2013 : une quarantaine de blessés parmi la foule, les flics, les journalistes. Sur une photographie que je trouve un policierest en feu.)

Progressons dans les chiffres, sans nous arrêter sur les centaines de femmes tuées à Ciudad Juarez, broutilles en comparaison des 102.696 homicides attestés par le gouvernement durant le mandat de l'ancien président Felipe Calderon qui déclara la guerre au narcotrafic, soit 1426 victimes par mois. En mars 2014 sous Henrique Pena Nieto la guerre se porte de mieux en mieux puisque apparemment on serait passé au chiffre mensuel de 1.688, sachant que bien sûr ce ne sont pas les narcos qui meurent. J'oubliais les disparus. Autour de 26.121 d'après les chiffres que je reprends dans l'article de Raul Zibechi (1)  qui a le front de s'appuyer sur une édifiante comparaison faite par la chaîne Al Jazeera entre les morts provoquées par l'Etat Islamique (vous savez, les islamo-terroristes que vous voyez tous les jours dans les journaux)  et celles des narcos mexicains. Vous voulez les chiffres? allez : en 2014 l'EI a nettoyé l'Irak de 9.000 civils, les victimes du narco-trafic en 2013 s'élèvent à plus de 16.000 (Russia Today, 21 octobre 2014). Il semble que la recherche esthétique macabre soit plus affirmée chez les cartels, liée peut-être à cette fête des morts que nous célèbrebrons aujourd'hui, corps variés (hommes, femmes, enfants, locaux et étrangers de passage) mutilés, démembrés, étêtés, calcinés, brûlés, têtes piquées sur des piques, jetés dans des fosses, vomis par des fosses ou exposés à la vue du public, pardon, de la population. Les deux types d'associations aiment utiliser les réseaux sociaux pour publier leurs oeuvres.

  Je ne sais pas bien ce qu'il en est des relations précises de l'EI avec les gouvernements en place, au Mexique dans la guerre contre le narcotrafic et la contestation sociale (une tradition archaïque de ce pays à laquelle la guerre a été déclarée depuis fort longtemps) les autorités et les gangs travaillent parfois l'un contre l'autre, mais plus souvent main dans la main. ça n'a rien de très original. Regardez à Iguala, état du Guerrero, le 29 septembre dernier. les étudiants de Ayotzinapa, université de pauvres où on forme des petits instituteurs de campagne défendent leur droit à étudier dans de bonnes conditions. Six morts pendant les manifestations, 43 disparus. 43 disparus. On apprend que deux gangsters reconnaissent l'assassinat de 17 étudiants et accusent directement le chef de la sécurité publique de la ville d'Iguala d'avoir commandité l'opération. Bon, il en manque encore 26. ça tombe bien les "autorités" ont exhumé d'une fosse "28 corps au total, certains complets, d'autres fragmentés, présentant des signes de calcination," (le procureur). Si je ne me trompe pas ça fait deux morts en plus? Les familles attendent dans l'angoisse que l'identification des corps ait eu lieu.

 

(Les chiffres parlent fort mais ils sont bien sordides dans leur abstraction n'est-ce pas? Etre un chiffre c'est être déjà mort, nous le sommes. Ces millions de morts me rappellent les millions de milliards qui s'enfoncent chaque année davantage dans les poches de quelques riches qui sont tellement riches qu'ils ne pourront non seulement pas venir à bout de leurs misérables richesses dans leur propre vie ni dans celles de leurs tendres bambins mais pas non plus d'ici la destruction de la planète qu'ils accélèrent par des voies directes ou de traverses.)

 

(pourtant les corps ont un corps, des nerfs, du sang, et surtout, un souvenir. L'argent n'a rien. Il crée du vide et laisse du vide là où il y a la vie) 

 

( "Nous n’oublions pas. Parce que ce sang, ces vies, ces luttes, cette histoire sont l’essence de notre résistance et de notre rébellion contre ceux qui nous assassinent" disent les zapatistes)

 

Les artistes ont mis des visages sur des murs de la capitale du Guerrero, Chilpancingo.

 

http://www.courrierinternational.com/files/imagecache/article/2014/10/3010-Portraits2.jpg

 

(Les murs d'une ville, les murs d'une université, les murs d'une cité même peuvent devenir les arbres d'une forêt)

 

Mais vous vous lassez peut-être de l'histoire mexicaine. Et Rémi? Et Rémi du Testet dans tout ça? Rémi est un. Un seul. Un prénom, un nom qu'on voit s'étaler avec certaine grossièreté dans tous les médias, sur tous les réseaux. Un arbre qui cache la forêt où coule la rivière. Derrière lui voyez les encagoulés avec des lacrymos qui terrorisent votre imaginaire. Vous voyez les CRS qui terrorisent notre imaginaire. 

 

Vous ne sentez rien? On dirait que quelque chose frémit en France, dans le monde. On dirait qu'on va s'armer contre la justice. Vous cherchez votre direction et vous avez un peu peur parce qu'au grand carrefour tous les chemins qui mènent à Rome vous semblent bouchés: d'un côté il y a les anarchistes, de l'autre les Islamistes, de l'autre les Narcos, de l'autre les Autorités, vous ne voyez pas où vous pourriez vous cacher pour être heureux.

Là vous vous dites: si seulement il y avait une forêt où me protéger.

Mais pour qu'il y ait une forêt qui vous protège, il faudrait que quelqu'un protège la forêt.

 

 

 

 

 

 

(1)Note : tous les chiffres sont pris de l'article de Raúl Zibechi, México: Un Estado fallido planificado (le Mexique : une faillite d'Etat planifiée)

 

 

Rédigé par Métie Navajo

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