D'un périssable lieu où attendre la mort - Tiéta d'Agreste

Publié le 31 Août 2012

Et voilà, abandonnée sur les plages magnifiques du Mangue Seco d'Agreste au Brésil, à savourer le ressac amer des dernières pages. Chaque lecture d'un grand livre (long, passionnant, envahissant) fait cohabiter avec ses êtres et transforme le monde sous leurs regards. Elle a béni (à la manière des Chefs-Monseigneurs des pêcheurs contrebandiers, portés sur la bragolette et la pacholette) Jorge Amado d'être capable, en des temps difficiles où le livre se transforme en article de luxe au lieu d'être, ainsi qu'il le devrait, article de première nécessité comme le pain et l'eau (d'ailleurs eux aussi absurdement chers, rien qui ne le soit sauf les soucis et la tristesse) de tirer de la description du ravage du monde des pages drôles et juteuses, pur jus de vie. Elle a été aussi amoureuse de la splendide Tiéta que la plupart des hommes qui la rencontrèrent au cours des six cent pages, l'a aimée comme un reflet d'elle-même, en vertu de cette éternelle identification avec le personnage théorisée par tant de critiques littéraires, et qui fonctionne aujourd'hui comme lors de ses premiers amours d'enfant, quand je fuyais les tristesses de la maison pour me réfugier sur les ilôts des romans, submergée par la lame des mots.

Le miracle de la littérature m'éblouit toujours.

 

Si habitée encore de la lumineuse Tiéta, sainte pute aux fugaces passions éternelles et à chair odorante de désirs puissants, qu'elle n'ose la quitter sans en offrir quelques mots, remercier l'auteur pour ce régal, pour ce regalo  offert sur une plage somptueuse du Portugal, sous un coucher de soleil étonnant, la lumière dessinant au pinceau de lave brûlante le contour des nuages qui semblaient cacher le véritable el dorado, mieux que le paradis; l'endroit rêvé où attendre la mort...

 

Tiéta sourit, tend la main:

" N'aie pas peur, non. Ni de moi ni de Dieu. Viens, couche-toi."

Les corps flottent au clair de lune, dans la musique des vagues. Lune, étoiles, mer, les mêmes qu'autrefois, pareilles. Qu'importent âge, parenté, soutane de séminariste? Une femme, un homme, éternels. Ici, dans les dunes, chevrette en rut, un jour distant elle a commencé. Tiéta touche son commencement. Aujourd'hui, chèvre rassasiée, lasse du bouc Ignacio, déflorant les chevreaux.

 

[Des pages plus tard... ]

 

Elle n'a rien à faire à Agreste, il est temps de retourner à Sao Paulo. Elle visité sa famille, profité de la paix de sa terre, gratifié les siens et la communauté, secouru les pauvres, suffit. Elle n'a plus rien à faire, se répète-t-elle pour elle-même.

Plus qu'à laisser les eaux couler. Un jour elle reviendra, et, si ça vaut la peine, retirée des affaires, elle passera là les dernières années de sa vie. Un bon endroit pour attendre la mort, disait le commis voyageur responsable de sa rosée et de son expulsion... Il avait raison: ici ce n'est bon qu'à attendre la mort, climat de sanatorium, tranquillité et paix, paysage incomparable. Elle va répondre un non catégorique au commandant quand un doute la traverse ; n'aurait-on plus un endroit au monde, fût-il unique, bon pour attendre la mort?

 

[Des pages et des pages plus tard... ]

 

Passions, passades, liaisons, flirts, rapides ou prolongés, romantiques ou lascifs ne sont tous, que de périssables aventures, ce qui ne les empêche pas d'être chacun, à un certain moment, l'amour exclusif, unique, définitif et éternel.

 

 

 

 

 

Rédigé par Métie Navajo

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