gozar

Publié le 23 Mars 2010


Je quitte les flots bleus de la ville chaotique, Paris m'attend grise à son quai TGV, je marche fatiguée, merveilleusement fatiguée de mille nuits pas dormies à rêver dans une autre langue...

(Je lui raconte l'histoire d'Amour et Psyché, sans bien me souvenir de la fin.
La fin... la tristesse d'un monde sans amour, sans beauté. Les épreuves imposées par Venus dont Psyché vient à bout.
La fin : l'immortalité...)


Paris. Mes joues portent la caresse chaude des premiers vrais rayons de soleil, un peu plus et je redeviendrai la morena que je suis, ne saurais-je être heureuse de savoir être si heureuse, de goûter, de toucher, de  plonger dans des yeux au moment où ils ne sont plus des yeux mais des portes, d'arriver derrière le regard...

(A tous il dit : Ils prétendent nous ôter le bonheur, l'allégresse, ils veulent nous empêcher de gozar... et le traducteur hésite : euh... gozar... gozar... : jouir? La salle s'esclaffe... Qui comprendrait? Ici on a renoncé à gozar depuis bien longtemps
dans le ressassement triste des ratages...)


C'était là-bas soleil léger, vent léger qui n'est pas le terrible Mistral (il rôde de nuit, aux seules oreilles de ceux qui ne dorment pas), promenade dans mes traces (les croissants au chocolat péchés mignons des bas d'Endoume où je finissais la première nuit blanche marseillaise, sous la lune, cherchant la belle d'Avril avec un joli gravisseur de calanques, ont disparu, quelle douce tristesse... ), petit bruit de l'eau, la solitude exquise sur l'anse de Malmousque, puis l'horizon émouvant d'être si bleu que je regarde avec ses pupilles imprimées par d'autres beautés. On rit à deux, à trois, à quatre, tanguant d'ivresse légère sur les chemins larges petits et hauts qui mènent à la Belle de Mai (qui est la Belle de mai? Je la cherche toujours...)


(Psyché et Amour ont une fille nommée Volupté.)

Le dernier matin je fais mes adieux au vieux port depuis une terrasse de pochetrons qui a miraculeusement survécu au tramway, un grand homme blond bien saoûl demande dans ses accents peut-être hollandais à un petit homme brun comment s'y prendre pour acheter une maison, oui il pense acheter une maison mais il n'a qu'un permis B, l'autre n'est pas sûr  il pense que ça n'a rien à voir avec la maison le permis b, mais il n'est pas sûr...


Cactus de Marseille, Mexique, Paris grise et froide sur le triste quai d'une belle gare. J'ai au corps des agacements en piqûres, des ansias, mais je ne veux pas m'alanguir...
Au matin suivant s'éveille le printemps la ville impudique relève de quelques centimètres ses jupons, se découvre séduisante sous le soleil, sourit...


-- Faudrait-il pas mettre en mots le bonheur, me dis-je, avant qu'il ne s'échappe encore...?

Peut-être pas.
Peut-être juste le laisser flotter dans les airs, un vague parfum qu'absorbe peu à peu l'autre mémoire
qui n'oublie jamais. --

Je ne renonce pas à gozar.



Rédigé par Métie Navajo

Publié dans #l'ailleurs parisien

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