rayon de soleil sur l'automne

Publié le 28 Octobre 2009


Je le vois. Minet afghan. Rires. Nous avançons. Nous regardant de coin. Rires.

 (Me trompé-je...? Ce n'est pas le regard qui a traversé les sols, explosé aux explosifs
infusé de sang
qui me séduit... c'est surtout - c'est seulement?-  cette capacité de rire inépuisable, inépuisée...)

Le coeur vierge alors que-
-

Dans la rue je dis :
Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron (c'est le fleuve des enfers, tu sais, les Enfers? Vague hochement de tête qui ne sait pas, non)
modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
les soupirs de la Sainte (temps)
et les cris de la fée...

Il mâchouille les mots en répétant : -  Les cris de la fée...?
- Tu connais Orphée...?
- Non...

Non. Mais le soleil noir l'étonne.
- C'est quoi ça ?
- Ben imagine...

Ce qu'il fait.

Voile sur ses yeux de joie, alors d'une tristesse insondable, qui vibre au profond. Mais alors je ne pense pas comme maintenant l'évidence que c'est lui, peut-être, le vainqueur... Orphée...  Rien moins que ça? Oui... Car comment revient-on le coeur vierge d'Afghanistan, les yeux pétillants de vie et bonnes joues à sourire largement...?
Alors je n'y pense pas car à peine croisons-nous les regards c'est-à-dire effleurons que nous rions...

Je baisse les yeux.

De ces rires bêtes de jeunes amoureux écervelés, de ces rires qui dans l'instant comprennent le monde, l'englobent, le mangent et pas encore rassassiés...

Il me parle de mes sourcils, de mes lèvres et cheveux, de mes fossettes surtout. Il aime marcher, mais est-il possible que je lui demande s'il aime lire qu'il me réponde qu'il aime bien la poésie surtout, qu'il essaye de m'en traduire des petits bouts, achoppant tout à coup sur un mot dari qui éclate dans la rue tranquille et me demande de le traduire... Mais je ne sais pas! Je ne connais rien du persan, du dari... Sa déception... Il est question d'étoile et de coeur et de ciel et de danse (mais pour autant rien ne dit que la scène se passe au Mexique, puisque voyez-vous ces choses-là sont universelles, et allez savoir si au-dessus de Kaboul la lune sourit dans les vapeurs de sang comme elle sourit tendrement au Mexique, éclatante, merveilleusement orange).

- Quand j'aurai les papiers de réfugié, je veux aller avec toi au Mexique.
- Au Mexique...? Quelle drôle d'idée...
- Non, pourquoi? Je sais que tu aimes... Chez toi il y a plein de choses du Mexique et tu m'as dit... le livre... (le livre orange du mexique : une mangue)

Je me marre (encore, encore, c'est un rayon de soleil dans les journées-cavalcades sans but, il est là : je ne fais que rire) (il raffole de mes fossettes)

- Mais qu'est-ce que tu sais du Mexique, tu sais quelque chose du Mexique, est-ce que tu sais même où c'est?
-Non. Je sais pas.
et il se marre aussi, fichu gamin qui me désarme (car je me rends compte : j'avance armée) .
- Ici. Là. L'Afrique. L'Asie. L'Afghanistan. L'Amérique : les Etats-Unis. Dessous le mur : Mexique. Et Guatemala, Honduras, Salvador tatata.., Colombie, Brésil...Tu vois?
Dans les airs. Dans la nuit fraîche que nous traversons, bas de la rue Mouffetard si tranquille le soir, bas des amours blondes sonnées par les cloches de Saint-Médard ( Tu te souviens? Un frisson... La Norvège arrive en haut d'escaliers irréguliers se cognant la tête et les pieds, tout est trop petit biscornu
et le plaisir est si vif, si long...)

Ses bras autour de moi mais surtout sa parole, son esprit, ses mots mal prononcés, son rire, la main qu'il a belle aux longs doigts qui prend la mienne sans façon, le regard qui cherche le mien, et moi je dérobe encore un peu...

- Et en Inde aussi je veux aller...

Il me raconte l'histoire du Taj Mahal. Et celle de sa mère. Est-il possible qu'il me parle de toutes choses que je veux entendre. Est-ce qu'il me devine à chaque pas.

Il m'arrête tout à coup.
- Ne traverse pas, c'est rouge
- Mais il n'y a pas de voiture...
- Ne traverse pas...

Et tout à coup la peur de mourir, maintenant, et que je meure, maintenant. Le regard d'une tristesse insondable derrière le rire, ou est-ce devant... ?

- Mais la mort c'est pas aujourd'hui tu sais...
- C'est demain
- Et demain ça n'existe pas non?
- Non; ça n'existe pas...
- Il n'y a qu'aujourd'hui...

Et nous rions. Il me force à marcher sur le trottoir et à attendre le piéton vert mais comment est-ce donc là-bas? Eh bien il n'y a pas de feu de circulation les voitures jamais ne s'arrêtent tu peux attendre deux heures...

...

Je le rapproche du métro. Il me raccompagne devant chez moi. Je le raccompagne au métro. Il tient à me raccompagner devant ma porte. Il n'a pas peur de me demander de le raccompagner encore au métro, et qu'il raffole des balades nocturnes, je ris, et des fossettes... Je ris. Non mon ami, maintenant je rentre...
Un abrazo
pour finir : séparation qui nous unit. 

Plus tard je m'endors en souriant. Quel plaisir d'aimer ses yeux pas seulement parce qu'ils sont en guerre
mais parce qu'ils sont en vie.
Un rayon de soleil doré sourit sur l'automne.







 
 



Rédigé par Métie Navajo

Publié dans #l'ailleurs parisien

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