jour des morts et soir de tous les saints

Publié le 2 Novembre 2012

 

C'est le jour de tous les saints et le soir des morts. Je prends le métro après avoir mangé une sopa de  frijoles accompagnée de calaveras, suivi d'un pastel de Choclo arrosé de musique chilienne. Il y a dans le wagon quelques personnes aux visages peints, mais la plupart des visages sont gris, ni graves ni gais, statiques. Deux jeunes gens passablement emméchés lancent à tue tête des répliques dans les airs, sans troubler l'ambiance du wagon; Bonjour Madame, vous n'avez pas d'argent, voulez-vous un crédit sur toute votre vie? Bonjour, nous ne travaillons pas pour EDF, vous voulez faire des économies, passez à l'énergie solaire photovoltaïque...! Bonjour, ça vous dirait des panneaux photovoltaïques? Et bien c'est dans le cul qu'on va vous les mettre!... Marrant. Une place se libère à côté du blond boutonneux, je m'assois. A ce moment le brun dit au blond que pour aller à Pigalle il devrait changer à Barbès. Sans comprendre qu'il s'agit de l'éternelle blague aux putes, je me permets de les interrompre pour leur préciser très civilement que ce métro a pour destination Porte d'Orléans (non d'ailleurs, Mairie de Montrouge), et que s'ils veulent aller à Barbès, il doivent changer de direction. Le blond me regarde de son regard bleu rendu stupide par la bière. Etonné qu'une fille lui parle le p'tit gars. "Non, je vais à Montparnasse... C'est bon pour Montparnasse?"

- Oui, c'est bien ça. Nous allons vers le Sud.

Le brun sourit, il a l'air d'avoir l'esprit moins embué. 

Le blond, la cannette de Jenlain à la main, un peu fier : Je crois qu'on emmerde tout le monde dans le métro. On vous emmerde vous?

- Pas du tout. ça m'amusait plutôt de vous entendre parler. J'ai cru comprendre que vous vendiez du crédit par téléphone?

Très excités qu'on s'intéresse à eux, ils se coupent la parole sans cesse.

- On vend de l'énergie solaire photovoltaïque pour un groupe qui travaille pour EDF. Mais attention, si jamais ils nous entendent dire qu'on travaille pour EDF, on est virés.

- Et c'est une arnaque?

- Ben oui, les gens prennent des crédits sur des années, parfois les modules brûlent, si on arrête le feu avec de l'eau ça fout en l'air toute leur installation électrique, toute leur maison. Toute leur vie quoi...! C'est ça qu'on leur vend.

Le blond boutonneux au regard un peu stupide raconte tout ça en riant. Drôle de rire, un rire de pure angoisse.

- On ne t'a pas appelée encore?

- Non. SFR m'a harcelée pour la fibre optique. Mais pour l'énergie solaire je ne crois pas.

- C'est que tu ne dois pas être propriétaire. On a une cible précise tu vois.

- Une proie...

- Célibataire sans enfants c'est pas bon. Ni plus de soixante ans. Ils pourraient claquer avant de payer leur crédit.

 

Pauvre regard bleu. Ravagé déjà de gagner sa survie à mentir, escroquer, planter dans le dos des couteaux qui l'écorchent au passage.


- Vous devez être dans la fourchette 28-32 ans mademoiselle.

- Pas mal. Mais qu'est-ce que vous dites quand vous comprenez à qui vous avez affaire?

- "Merci-Madame-excusez-moi-de-vous-avoir-dérangé-bonne-journée". 

- Les gens croient qu'on appelle d'un bureau particulier, alors qu'on est à dix centimètres les uns des autres, je l'entends quand il fait son speech...Enfin, je l'entendais, il s'est fait virer ce con. (il pouffe) Il s'est auto-viré!

Le brun: type arabo-musulman, fourchette petite vingtaine, catégorie sourire charmeur.

- Oui, je suis arrivé 10 minutes en retard ce matin, le chef a commencé à me passer un savon, je lui ai dit que je me barrais (la phrase qui avait commencé héroïquement finit sur un ton gêné), mais je vais chercher du boulot... Et toi tu fais quoi?

- Je suis prof (etc)

- En banlieue? Ca doit être dur avec les Arabes et les Noirs!

C'est le brun qui dit ça, par provocation ou pour jouer son rôle de brun.

- Pas trop, j'aime bien les Arabes et les Noirs.

Un large sourire, triste.

- T'as bac plus combien?

- T'es de quelle origine?

- Tu viens d'où? Tu faisais quoi ce soir?

Je choisis la dernière question.

- J'écoutais de la musique chilienne.

- Je sais pas du tout ce que c'est, jamais entendu...

- De la flûte, de la guitare...

- Ah comme les Indiens à Châtelet qui sont en costume...?

- Pas tout à fait... pas la même flûte...

Regard hébété du blond boutonneux. L'autre :

- Tu sais les Arabes aussi ils jouent de la flûte, ils ont inventé plein d'instruments, ils font même de la musique en tapant des mains...

Palmas. Le brun claque des mains avec un mélange complexe de fierté et de mépris de son geste.

- Mais oui bien sûr...

- T'es Chilienne? Non... T'es Espagnole!

 - On est à Montparnasse...

Ils se lèvent d'un bond.

- Mais Châtelet?

- On l'a passée depuis longtemps...

Le brun a raté sa station pour rester dans la conversation. En descendant il me demande mon nom;  me dit le sien. Une lettre nous sépare.

 

 

 

 

 

 

 

 

Rédigé par Métie Navajo

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M
<br /> Bonsoir,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> j'aime bien ce que vous écrivez.Des passages de votre vie.amusant,sensible,amoureuse pour ce " grand blond ".<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br />
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M
<br /> <br /> Merci à vous de me le dire. Métie N.<br /> <br /> <br /> <br />