ce temps n'est pas mon temps (cling)

Publié le 3 Septembre 2011

 

 

Premier cling de pass navigo, une identité enregistrée dans la base de la RATPBonjour, je n'avais jamais eu ce joujou dégoûtant dans les mains...  Fin momentanée de six années de fraude (une vie), finies l'escalade, les petites frayeurs et accélérations légères du pas, les leçons de morale citoyenne et la franche camaraderie aux tourniquets, et, surtout, finies les grandes parties de chats et souris avec agents violets verts de l'Ordre subterranéen. Il faudra voyager sans être aux aguets... Cling... Quel ennui...   Une fois éloignée du cauchemar saint-lazare j'arrive à Poissy de grand matin, salue d'un geste Ma-Dame-Majestueuse-Collégiale (assoupie dans l'oubli), et passe la porte du XIVème siècle. Le chemin de l'enclos de l'Abbaye m'amène au lycée. Il fait très beau, la côte est raide et le chemin de pavés irréguliers. 

 

L'Ecole. Bâtiments laids et ruineux couleur nausées entourés de jolies pelouses vertes, de bitume gris et de jardins fleuris, depuis le 4ème étage où personne ne monte jamais on a une vue plongeante sur la vallée, jusqu'à la Seine qui scintille au fond. Premières réunions, sous le règne de Dévastation-Technologie nous aurons c'est merveilleux des machines profondes comme des tombeaux, des claviers où tout écrire et souligner, l'obligation d'un espace numérique régional et aucun espace, car tout ce que nous ferons sera "partagé" avec l'Académie mondiale... A mon naïf "et pourquoi?" on ne répond pas autre chose que "progrès numérique"... (J'imagine alors des mains tristes et molles qui ne sauront plus tenir un stylo et le faire glisser sur le papier, avec le crissement léger, et, à force, la petite bosse de douleur sur le majeur...) (Ce n'est pas grave.)   Et, au cas où les élèves ne seraient pas encore tout à fait ravagés, bien appliquer les programmes des dernières réformes, véritables tuent-l'amour-la-littérature, pour une éradication méthodique de toute activité de pensée futile passablement séditieuse. C'est fou comme notre époque ressemble à de mauvais films tirés de très bons livres. Ce n'est pas grave, c'est merveilleux. (je me souviens de regards d'enfants ébahis devant la danse de la plume sur le carnet, la magie des mots qui apparaissent, qui ne sont même pas des mots, mais des signes...) (Ils sont des sauvages dans la jungle des souvenirs, et moi aussi, des enfants de misère libre, une espèce en voie d'extinction naturelle...).

 

 Faites attention à Facebook. Quand vous acceptez un élève comme ami sur Facebook, demandez-vous si vous le feriez dans la vraie vie... L'année dernière un professeur a glissé d'une amitié virtuelle à une possible pédophilie (virtuelle?)...

 

Je regarde autour de moi, collègues : des objectifs et des idées, des plaintes et des espoirs, des aspirations bridées, quelques joies perdues dans des soupirs. Je me laisse émouvoir. Et toi? L'envie dans leurs yeux quand je parle de quatre ans d'ailleurs, et maintenant du temps partiel. Du temps libre. Certains se voient dans mon miroir. Et pourquoi pas un peu d'espace... C'est que ça fait peur... et rêver...  Quelles autorisations et permissions il faut avoir ? Pris dans la  spirale du vide pour plus de pas beaucoup d'argent, plus de travail mais pourquoi, au fond, pourquoi toutes ces heures supplémentaires... "Tu comprends je veux être très libre mais en même temps j'ai besoin d'être très attachée" dit la plus sincère de tous. "Nos contemporains sont incessamment travaillés par deux passions ennemies: ils sentent le besoin d'être conduits et l'envie de rester libres" disait un autre contemporain...

 

  La morosité ambiante ne me gagne pas. Je me sens fraîche et heureuse, je dispense ma gaieté sans compter, je dissonne. En faisant le chemin en sens inverse je me fixe comme objectif professionnel de garder ma joie, quelque soit le désert. J'entre dans Ma-Dame de Poissy, seule avec toutes mes grandes fois, et me recueille un moment dans ce temple-temps abandonné. Un sourire à la Vierge, vierge (le sourire). Le soleil est encore là quand je sors, bon, chaud, je m'en gorge jusqu'aux fibres, je m'enroule dedans en prévision de l'Hiver, non pas l'hiver blanc en ses belles lumières, mais celui de grisaille morose, de terne fatigue (cette maladie qui fait vieillir de coeur et d'esprit)... Cling au milieu de mille autres. Je sue le cauchemar saint-lazare au fil des stations de la ligne 13, et puis je débouche dans mon quartier que j'aime, oui, surtout pour ses Portugais, je monte et bientôt j'entends les grondements de mon coeur, c'est mon désir, déjà le voilà courant les escaliers, le voilà devant ma porte avec ses mèches rousses rouges essouflées de vent et ses yeux bleus d'orage, tout un monde de ciels et de lunes musicales que j'aime tant, j'ouvre les bras autant que je peux pour essayer de l'englober,

mon désir est si grand...

 

 

Alors, Baudelaire, qui est comme chacun sait triste, fou, et maudit (il m'accompagne souvent. La joie est maudite) me souffle d'avance la fin de l'hiver-maladie :


Et plus tard un Ange, entrouvrant les portes,

viendra ranimer, fidèle et joyeux,  

les miroirs ternis et les flammes mortes.

 

Les charbons peuvent rester ardents. Mais il ne faut pas avoir peur de souffler sur le feu.

 



Rédigé par Métie Navajo

Publié dans #nomsdefleurs

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article