silhouettes du voyage

Publié le 15 Août 2011

 

 

Doubs Pilatre. La lumière de la lune coule à travers la fenêtre sur mon court sommeil. Les rayons dorés du premier matin m'ouvrent les yeux, je cours dehors pour mon dernier bain de pieds de rosée, salutations au soleil en quelques mouvements de bâton, il faut partir... Je quitte cette solitude idéale peuplée de lectures et d'écritures, d'instants allongés sur l'herbe craquante qui sous le soleil tout à coup brûlant se fondent en un non temps absolu, quand j'entre dans la haute forêt ombragée et m'enfonce dans le profond tapis de mousse le doux carillonnement des cloches laitières me suit, berce ma méditation, je fraye des chemins dans les fougères et orties, entre les élégants pins qui s'étirent pour attraper la lumière, me prends à rêver d'une longue existence en dehors de vaines agitations... Je pose mon front contre le tronc d'un arbre (comme je le pose contre le front de mon chevalier-princesse, voir si son âme flotte à la surface des prunelles),  nous partageons l'esprit de la forêt. Mais il y a toujours quelqu'un pour vous chasser...

 

 

Sous un ciel qui retient difficilement ses larmes, je pars en quête de petite aventure. J'essaye cinq voitures et presque autant de rond-points. Petits moments intimes avec des inconnus qui me demandent d'où je- et où je-? Je suis charmante je souris je me tais et je fais surgir des conversations, le premier est retraité veuf avec trois enfants et trois motos, il est content de sa vie, c'est juste qu'il se sent de moins en moins libre, ça le rend triste, pas tant pour lui que pour nous qui serons moins libres encore... Le second parlant moins qu'il n'est délicatement silencieux m'emmène jusqu'à Besançon qui est si belle, oui, les gens d'ici ont peiné à élever cette citadelle, il fallut tant et tant d'argent qu'un jour Louis XIV écrivit à Vauban : Mais ces murailles, elles sont en or?... Silence. Murailles. A l'époque aussi les gens payaient beaucoup d'impôts, mais au moins il en reste quelque chose... Maintenant tout notre argent disparaît dans des poches profondes, et que restera-t-il...? Il est tôt encore. Je ne descends pas au centre mais au rond point, allez, voyons jusqu'où je vais... Un gros fumeur de clopes me laisse sur une voix express, les voitures me voient à peine et comment pourraient-elles ralentir, la pluie, aïe, ma chance m'abandonnerait-elle... Non, la voilà qui klaxonne, je me retourne, elle gesticule comme une folle sur la bande d'arrêt d'urgence en criant : DEPECHE-TOI! Je cours vers le vieil engin rouge, pas possible d'en ouvrir la porte il faut escalader Louise la passagère mais attention aux oeufs sur le siège arrière dit Thelma en démarrant... Dis-donc, t'as choisi le pire endroit, comment tu veux que quelqu'un s'arrête... Deux  femmes en jambes longues et clopes au bec rouge, sourire aux ridules délicates, la beauté d'une quarantaine pas conforme... L'une (je crois qu'elle répond au nom d'Amalia) a fait du stop tous les jours pendant huit ans pour aller et revenir du boulot, depuis elle a juré qu'elle ne laisserait jamais une femme au bord de la route... L'autre n'a jamais fait de stop ça lui fait trop peur, à l'insolence de son sourire j'ai pourtant du mal à croire qu'elle puisse avoir peur de quoi que ce soit... Gouaille de Besac (Besançon) sur bulletin d'informations : Un soldat français tué en Afghanistan... Un soldat français?  Mais pour combien d'Afghans!... Syrie, Algérie... De toute façon les hommes sont pas capables d'arrêter de se battre, c'est comme baiser, ils peuvent pas s'en empêcher... Je me marre. Mais baiser c'est quand même mieux... Amalia raconte ses histoires d'auto stoppeuse : la fois où elle a dû se jeter en marche d'un camion; les fois où un dealer la prenait comme escort girl pour passer inaperçu... Et il t'a filé quelque chose au moins? Mais oui - bon, à l'époque je fumais un peu- , deux savonnettes, DEUX SAVONNETTES tu te rends compte... Et toi? Il m'est jamais rien arrivé, je n'ai pas peur... Faut pas dire ça, sermonne Thelma, il suffit d'une fois... Elles se demandent où je vais, je ne sais plus trop, Dijon, ou Dôle peut-être... Dôle c'est pas trop loin d'ici, hop, voilà mon rond point, salut les filles, salut, et comment tu t'appelles au fait...? Avant de remonter dans le petit engin rouge Amalia ma chance me coule un regard presque amoureux... Et puis il pleut dru sur mon kway blanc. Pas longtemps, une caisse encore plus pourrie s'arrête, un type moustachu m'ouvre la portière, je mets mes sacs à l'arrière. Où? Il a un très fort accent qui n'est plus exactement celui du Jura. Dôle. Deule? Dôle, oui... Il me demande d'où je- et où je-, je dis Morteau, Dôle... Mes réponses ont l'air de le laisser perplexe... Il tourne souvent la tête pour m'appuyer un regard un peu trouble... Mais, tu vends quelque chose? Aïe... (Qu'est-ce que je pourrais bien vendre... De la  saucisse? Des pipes..?). Mon coeur bat un peu plus vite... (il suffit d'une fois...) J'attrappe mon plus petit sac à dos et le pose sur mes genoux, s'il s'approche j'abandonne le reste et je saute... Est-ce que je suis mariée des enfants? Non. ça l'étonne fortement. Lui : veuf, deux garçons, deux filles. Je souris, je suis charmante, je suis effrayée. Est-ce que je suis Turque? Non... Lui il l'est... (Ah! c'est le Turc sanguinaire et moustachu échappé de l'empire ottoman) Mais j'ai des amis turcs à Paris (ils te tueront si tu me touches...). Tu habites à Paris? Combien ça coûte d'aller de Dôle à Paris?... Je sais pas... Et, m'envoyant une bourrade affectueuse : Tu vas m'inviter chez toi à Paris! Ben voyons... Je décide de ne pas sauter de la voiture mais de descendre à la gare où il me dépose gentiment... Il pleut et j'hésite à continuer sur les nationales... Le clocher de la Cathédrale me fait de l'oeil... Allons... Les ruelles très hautes serpentent jusqu'à Notre-Dame, j'entre, après les voix de la route celles d'un silence profond, et quelques notes d'orgue... Des vieilles splendeurs de la vieille ville au petit pont roman qui se reflète dans le Doubs, il pleut sur les canards, je m'assois au bord de l'eau dans l'herbe mouillée pour admirer la ville précieuse dans son écrin vert et humide. Belle Dôle en a dull day...

 

Gare. Tiens, il coûte un peu plus cher d'aller à Paris de Dôle que de Besançon. Et pourquoi donc alors que c'est moins loin? Ce sont les nouveaux tarifs dégressifs de la SNCF m'explique le jeune homme. C'est dire que moins on fait de distance plus c'est cher? (Essayant de rester sérieux) : Oui... Bon, la prochaine fois je passerai par  Marseille... (Ses yeux mi amusés mi compatissants...)  (Ses yeux d'ailleurs trop joliment bleus pour ne pas déconcenter mon agacement... Est-ce qu'on leur apprend ces jolis yeux bleus en formation...?) Le train jusqu'à la Gare de Lyon traverse les pluies et les plaines, et  Paris m'accueille tendrement dans une douce lumière de fin de journée, je suis à mon poste d'observation préféré à l'heure parfaite, le pur ciel bleu rosit délicatement  au dessus de Ma Dame de la Seine, je sens que la solitude dont je me suis gorgée me nimbe et me protège, pourvu que je sache la garder et faire de Paris que j'aime tant l'abri aux murailles d'or où me protéger de Paris que je déteste.

 

 

 

 

 

 

Rédigé par Métie Navajo

Publié dans #journal parisien

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