ciel impur de l'hiver

Publié le 8 Février 2012

 

J'ai posé mes mains puis mon front contre le front de l'arbre, et, relevant la tête, j'ai surpris le regard de la femme qui surprenait ma tendresse d'amante... Je n'ai pas été gênée, j'ai fait comme on fait dans ces cas-là, comme si de rien n'était, et me revoyant étreindre l'arbre à travers les yeux de cette femme, j'ai souri à l'intérieur... J'ai retiré ma veste polaire enlevé mon pull remis ma veste polaire et resserré l'écharpe autour de mon cou, réchauffé mes articulations, puis le baton s'est ébranlé fièrement (fier de froid) sous un ciel bleu très pur, parmi les rayons glacés d'hiver qui ne figent pas le tao, l'ombre délicate des branches sur les murs blancs, la mienne s'étirant de mes pieds, tellement plus leste et longue que moi dans la danse... :Bonheur au Tao-Jardin-Soleil. (Trop occupée d'amour et de société voilà longtemps que je ne m'étais pas rendue en mon lieu, qui m'appelait en rêve de ses longues branches). Je respire à côté de mon arbre, nous nous mélangeons les racines, je rends au ciel l'air qu'il me donne. L'inlassable ciel. (Chaque geste est merveilleux. Chaque souffle. En une trentaine d'années et peut-être cinq ou six vies, je n'ai pas réussi à me lasser du ciel et des dessins que le soleil couche-tôt trace en pastels bleus roses violets d'adieu, ni de la lune vaporeuse dans la nuit qui pique et mord, je crois même que j'aime le froid plus qu'avant, il me passionne les sangs et rafraîchit ma cervelle...). Il y a deux jours la fine première neige a doucement recouvert Paris, la rendant si jolie, et autrement sonore (le silence d'hiver, plus dense, me réveille), et hier soir je suis sortie sous les flocons, mes pas crissant pour la première fois sur le mince tapis blanc qui éclaire la nuit et la fait briller.

 

Je marche en courant le bâton terroriste en main jusqu'aux étals du marché clairsemé, les poissons n'ont pas pu arriver mais les primeurs sont là, emmitouflés de gaité encore, "y a qu'à la télévision qu'on se lamente, on va bien nous, on a pas froid, c'est juste qu'on respire pas... Moi j'ai de l'asthme vous voyez...  On croirait que le ciel est pur comme ça, mais pensez! A Paris c'est encore plus pollué par ce froid... (regard sur moi, perplexe) Zavez pris vot' bâton pour vous réchauffer?" Un simple sourire se fait vapeur épaisse et chaude dans les airs. Des pommes des oranges et des topinambours côté gauche (pour le roulement du son), l'arme côté droit, les chemins quotidiens ne deviennent pas routine si je peux en dessous de zéro prendre le bâton entre mes gants et le mouvoir sous un ciel bleu très impur, enlever le gant et glisser la main dans la paluche de Paulo qui m'appelle aujourd'hui Lilas, siroter la noisette à petites gorgées avec à l'esprit l'image d'une larme sucrée au bout d'un nez surmonté de yeux aux mille nuances amoureuses, bleues argentines à l'heure de Porto et méditerranéennes au réveil (l'amour peut même y geler, lacs d'ardeur recouverts d'une fragile couche de glace), et les constellations de beautés granuleuses, un  garçon couleur de miel dans une lumière de miel d'été (érable l'hiver), tout ce qui crée l'harmonie d'un être, de deux êtres (pointe rose sur café au nez blanc), deux corps infimes qui s'enchevêtrant dans l'espace infini deviennent infinis dans l'espace tout petit.... (Nos corps restreints agrandissent le territoire de l'aventure, la perspective, l'horizon... Nous regardant, au retour de la lune, j'avais envie que quelqu'un nous peigne, non pas "quelqu'un", mais un génie des angles. Picasso. Ou Nabokov, à la manière dont il peint le trio amoureux de Manhattan). Il y a à chaque instant douleureux une possible joie... "toi tu travailles jamais ou quoi?" me demande Paulo une énième fois pour me sortir de ma rêvasserie... Sans attendre de réponse il se met à fredonner, s'interrompt pour gronder encore que j'ai renversé une goutte de ma noisette dans la soucoupe, il fait froid il s'assoit à côté du chauffage électrique qui est intelligemment placé juste à côté de la porte d'entrée, il ne regarde pas, je lèche encore la petite goutte brun clair sur porcelaine blanche du Portugal, je sors, les gants, le corps saisi par le soleil glacial se raidit, se détend, le bonnet, le bâton, marcher en courant, toute la joie possible de l'hiver...

 

Rédigé par Métie Navajo

Publié dans #journal parisien

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