quatuor du samedi soir

Publié le 17 Octobre 2011

Les voilà à courir dans les ruelles bondées du Marais, des Blancs Manteaux à l'Hôtel de Ville, laissant enfin les tas de revues empilées (d'où émergèrent quand même Dante et Marguerite Porète) pour arriver aux visages plus gais de l'indignation, esquivant de justesse les corps comme dans une scène de poursuite d'un film américain sauf qu'il s'agit des plaisirs de vraies vies, trois devant et un en arrière-garde à sourire au cigarillo,  un monsieur à trottinette se casse la binette sur le trottoir au passage en trombe des deux garçons de tête, les voilà arrivés à l'Hôtel de Ville les poumons brûlants, elle les perd un moment et trouve un acolyte de librairie politique qui peint une banderole et distribue son bulletin pour les prochaines élections : "non" sur un morceau de papier toilette... elle balaye le lieu du regard, hommes et femmes assis et allongés et debout, une voix qui s'élève au micro, elle a perdu ses mousquetaires et ça la fait rire, comment  pourrait-elle ne pas les retrouver, ce trio si beau et si dépareillé, elle se retourne encore une fois, les voilà, (scène avec profondeur de champ) : trois cow boys qui avancent en ligne ondulée, l'immense brun au corps élancé, le grand blond au chapeau et demi sourire ironique, le petit blond roux aux yeux bleus qui pétillent et poumons qui toussent d'avoir inhalé les vapeurs de son vernis florentin, moitié cellulosique, moitié gomme lac - laque évidemment...- (elle saura tout plus tard, aux belles heures de la nuit) elle se sent si fière de les voir venir vers elle, elle glisse son bulletin de toilette dans sa poche et ils méandrent vers la Seine, les histoires vont de bouche en bouche avec les sandwichs libanais, elle le regarde et à chaque fois trouve dans ses yeux dans son sourire tant de désir brut qu'elle en frisonne, d'histoires en histoires vibrées sur le cithare de la Catalogne à Crémone passant par les loubards à scooter d'Aulnay sous bois, les voilà assis sur un quai de la Seine, les bateaux passent bruyamment au nom de "Galère" et "Mama de Paris", ils parlent, elle se revoit sur cette berge il y a un ou deux ou trois ou quatre ans à me gorger de soleil un froid matin de décembre, dos au mur les yeux fermés délicieusement seule le visage tendu vers le dieu soleil, il était tôt et c'était mon anniversaire, à voir l'incroyable lumière en me levant j'avais pris la bicyclette et pédalé à toute allure pour m'offrir le matin en cadeau... (J'ai  raconté ça déjà. "Ci-gît-le-coeur de Paris", la rue par laquelle j'étais remontée, par laquelle nous venons de descendre)  Elle retourne au vibrato qu'elle aime tant, caresse du regard les trois garçons qui ont froid, plus froid qu'elle, partons, allons prendre un grog dans ce bar triste de la ville sans âme, il paraît qu'elle a déjà emmené deux d'entre eux dans ce même bar il y a des années, ils le disent mais elle ne s'en souvient pas, ils boivent un grog avant la saison fait remarquer le serveur, puis se séparent gaiement, contents les uns et des autres; maintenant ils sont deux à devoir encore contenir le désir jusqu'aux intérieurs, néons du métro feux et rires, entre les stands de la place du marché un baiser  long interrompu par le "alors on s'cache entre les tentes pour s'bécoter?" du vigile à la 8/6; ils rigolent mais c'est grave, il y a toujours un mec payé par la Mairie de Paris pour vous chasser du paradis quand on le réinvente d'un baiser... Pfff, de toute façon nous serons bientôt encore plus heureux que nous le sommes déjà, presque sans failles, et nous voilà à courir dans les dernières rues du dehors, toussotant des vapeurs de vernis florentin, ivres.  

Rédigé par Métie Navajo

Publié dans #journal parisien

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M
<br /> <br /> merci juanita, heureuse de te plaire encore... A présent que le soleil nous quitte, tout risque de devenir plus difficile. J'écouterais volontiers l'histoire des poubelles grecques un de ces<br /> jours...<br /> <br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> ouah, j'adore.<br /> <br /> <br /> Je suis de retour de 3 semaines dans les poubelles de Grèce... des bises<br /> <br /> <br /> jeanne<br /> <br /> <br /> <br />
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